Publiée le 01 Août 2010

 

Guy Savoy, chef installé non loin de la place de l'Étoile, à Paris, est le
prince des oppositions : oppositions de textures, opposidons de saveurs,
oppositions de parfums...
Je me souviens avoir mangé chez lui un extraordinaire filet de saumon où
deux propriétés s'opposaient : le degré de cuisson ? et la fermeté de la
chair ? augmentait de bas en haut, tandis que le parfum d'herbes qui
couvraient le poisson avait migré de haut en bas, au cours d'une seconde
étape de cuisson.
La recette que je donne ici n'est pas la sienne, mais s'en inspire.
Testez-la sans crainte : même si vous ne maîtrisez pas vos «gradients
opposés» comme le maître de la rue Troyon, vous aurez un plat de poisson
délicieux.

Ingrédients pour 6 personnes
6 petits filets de saumon, 25 grammes de beurre, 1 cuillerée d'huile
d'olive, 1 oignon, 2 carottes, 2 échalotes, 1 poireau (conservez le vert), 1
bouquet de persil chinois (ou coriandre), 1 branche de thym, 1 branche de
persil, 1 branche de fenouil, 10 centilitres de crème.

Demandez à votre poissonnier de lever les filets de saumons en les
conservant dans leur peau et de préparer des pièces pour une personne
chacune.
Demandez-lui de vous mettre les arêtes à part.
La peau est importante, car elle permet d'éviter le goût de brûlé qui
apparaît quand on cuit à feu trop vif, pendant trop longtemps : l'eau de la
chair s'évaporerait, la chair sécherait, puis noircirait.
Gardez les arêtes ; elles vous seront utiles, dans la préparation du fond de
poisson.

Dans une casserole, cuisez au beurre les arêtes et un oignon émincé. Quand
l'oignon et les arêtes sont légèrement colorés, ajoutez une branche de thym
et un demi-litre d'eau. A découvert, faites bouillotter pendant 20 minutes.
Puis filtrez le liquide et faites réduire jusqu'à ce qu'il ne reste plus
qu'un décilitre de fond de poisson.
La première partie de cette opération permet de faire quelques réactions de
Maillard, qui donneront du goût et de la couleur. Puis l'ébullition douce
assure l'extraction de molécules de gélatine à partir des parties solides
des arêtes et celle des molécules aromatiques à partir de l'oignon et du
thym. La gélatine qui est extraite est une des molécules importantes pour la
préparation de la sauce, ensuite : elle donne du corps à la sauce, en
favorisant l'émulsification des corps gras.

Pendant 5 minutes, dans une autre casserole, cuisez à couvert une julienne
de carottes, d'échalotes, de fenouil et de poireaux, avec une cuillerée
d'huile d'olive et du persil.
Cette fois, on prépare la couverture végétale qui recouvrira le poisson. Il
faut l'obtenir d'un goût aussi puissant que possible.

Découvrez la casserole et finissez la cuisson de sorte que tout le liquide
soit résorbé ou évaporé. Mixez ces légumes avec du persil chinois finement
ciselé. Réservez.
On n'ajoute le persil chinois qu'en fin de cuisson, car ses arômes sont volatils.

Dans une grande poêle, déposez une grosse noix de beurre clarifié, et
faites-y cuire à feu vif les pièces de saumon, la peau contre la poêle,
jusqu'à ce que la chair blanchisse à mi-hauteur (la partie supérieure doit
rester insuffisamment cuite). Cette cuisson durera quelques minutes.
Du beurre clarifié ? Ceux qui n'en ont pas goûté ne savent pas le plaisir
gourmand qu' il procure. Je ne reviens pas sur le principe de sa
préparation, mais seulement sur la pratique de la chose : on fait lentement
fondre du beurre, à feu très doux, et l'on élimine toutes les parties
solides du fond de la casserole, ainsi que l'écume qui surnage.
Pendant cette cuisson à la poêle, la chaleur monte du bas vers le haut.
Surveillez la tranche des filets de saumon et arrêtez la cuisson quand les
poissons sont bien cuits, en bas, et encore insuffisamment au sommet.
Rapidement, sortez les filets de la poêle et déposez-les sur un plat à four.
Saupoudrez chaque filet de gros sel et de poivre mignonnette. Couvrez d'une
petite couche de hachis de légumes et laissez la chair s'imprégner du parfum
des herbes pendant une demi-heure. Puis passez pendant 20 minutes au four, à
70 degrés.
Le passage au four vise à accroître la migration des arômes de la couverture
d'herbe dans la chair des poissons, à finir la cuisson et à réchauffer les filets.

Voilà la seconde opération fondamentale, celle qui parfume la partie
supérieure du poisson plus que la base. Pour que cette opération soit bien
réussie, les légumes doivent être fortement parfumés. C'est la raison des
opérations préalablement exécutées.
Vous pouvez modifier la recette en grillant de minces tranches de lard en
même temps que vous passez les filets à la poêle. Au moment de servir,
coupez ces tranches de lard raidies en allumettes que vous disposez joliment
autour des filets.

Dans le fond de poisson, mettez 10 centilitres de crème en fouettant. Nappez
les filets avec cette sauce.
Encore une émulsion !
Vous pouvez, de même, remplacer la couverture de légumes terrestres par une
couverture d'algues comestibles : wakamé, fouet de sorcier, cheveux de mer,
porphyre...

 

 

Hervé This, dans ses révélations gastronomiques


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