Publiée le 21 Décembre 2000

 

Pas de découragement, reprenons nos esprits.
Lundi. Le lundi est un jour que nous commençons traditionnellement
déprimés et que, sans raison, nous finissons éreintés. Une journée de
refus, de contestation molle. De grogne mal payée. En entrée, une
salade de cresson aux Å“ufs durs devrait pouvoir nous remettre de ces
heures inexcusablement inutiles. On prendra seulement garde à la cuisson
des Å“ufs ; ce n'est pas toujours du tout cuit. Eau froide, eau bouillante
Il faut choisir son école. Pour suivre, puisque l'on est en pétard,
provocateur et rebelle, une boîte de corned-beef nous servira à faire le
brave. On le choisira product of Argentina, pays où les bœufs vivent
heureux. Froid, avec moutarde à volonté, ou sauté aux oignons.

Mardi, ça s'arrange. Un peu de soleil : le grec, celui qui était encore
fréquentable, il y a vingt ans, à l'ombre des arcades de la grande place de
Corfou. Souvlakis pour tout le monde. Richesse des terres sobres, animaux
élevés à la va-comme-j'te-pousse ; des amis de l'homme à l'époque. Dans ce
plat chantant, le délicat sera de trouver le porc le moins dodu et les
pièces raisonnablement les moins remarquables. Jouer la pauvreté.
Pointe ou échine, sans vraiment y croire, mais avec persuasion. Les
morceaux seront embrochés, mis sur le gril de cuisine et servis avec des
pommes de terre cuites au four accompagnées d'une salade de
tomates. Illusions, illusions perdues, mais rêvons encore un peu à ces
moments gracieux où le voyage valait encore le déplacement. Retsina
obligatoire– l'ekavi crétois, par exemple–que l'on pourra trouver au
rayon exotique corsé des comptoirs de chez Nicolas.

Mais voilà le mercredi, jour de sacrifice du lapin, animal que l'on nourrissait
autrefois à la luzerne, innocent brutalement passé au régime assassin
des farines que l'on sait. Le voici reconsidéré. Nous, on l'aime aux
oignons sous la baguette de cuisinières énergiques, mais sachant occire la
victime avec délicatesse. Une vieille histoire campagnarde toujours
d'actualité quand on sait se souvenir de tout ce que le monde rural a pu
apporter à la cuisine. Il est très simplement rôti, passé aux flammes de
l'armagnac, agrémenté de jambon de pays et baigné dans une mer
d'oignons. Vin blanc en liant et ciboulette hachée au moment de
servir. Un plat de réconciliation.

Jeudi, prenons la mer avec ces langoustines à l'orange dont on
dérobait la recette à un cuisinier cancalais trop bavard. On notera que
ces robustes crustacés n'ont jamais posé de problème particulier et que les
chefs sont depuis longtemps appris à nous les servir aux sauces les plus
diverses. L'animal résiste à tout, sauf peut-être à des dérives de cuisson, qui
lui sont souvent fatales. Vigilance. Ici, le jeu est simplissime. Base composée
de crème, d'un jus d'orange et de celui d'un demi-citron, d'une large
rasade de Grand Marnier et d'une pointe de Cayenne. Cinq minutes de
cuisson. On aura fendu les bestioles par le travers, côté ventre, tout en les
laissant entières, avant de les poêler au beurre clarifié et de les flamber au
cognac. Elles sont ensuite nappées de la première préparation et mises sous la
salamandre du four durant deux minutes. Un régal pour pas cher par
temps de jour ordinaire.

Vendredi. Mettons l'Afrique de l'Est au programme avec ce poulet malgache,
puisqu'on nous assure que le poulet aussi sera dorénavant placé sous haute
surveillance. C'est un plat de brousse à servir à des âmes simples au palais
convaincu. Brutal comme il faut, excentrique comme il convient. Animal
mis en pièces et doré à l'huile d'olive. Oignons tombés auxquels on ajoute de
l'ail en morceaux, un bouquet garni, 1 kilo de tomates pelées (en boîte) et
deux larges cuillères à soupe, l'une de curry, l'autre de paprika. Cuisson à feux
doux durant une petite heure. La rougaille, servie froide en accompagnement,
est un mélange de tomates et d'oignons taillés menu, violentés de Tabasco,
de pâte de piment et de piments verts coupés en lamelles fines.
Poivre et re-huile d'olive. Servir avec du riz et s'accrocher au bastingage.

Samedi, c'est net, soupe de poireaux, en prenant garde à la
coupe des pommes de terre aussi bien qu'à celle des poireaux, à la juste
proportion d'eau autant qu'à la diablerie du sel. En prenant garde, en
fait, à tout, car ce classique que l'on aurait tort de prendre à la légère est
l'un de nos réconforts les plus délicats et les plus précieux à mener à bien.

Dimanche, pas d'excès, et cailles aux raisins avec purée de pommes de
terre. Elevées, on nous l'affirme, aux grains les meilleurs, les oiseaux, jamais
très onéreux, apportent toujours à une table ce côté agreste et
raisonnable, nous voulons dire sans coups de fusil à entendre résonner
dans le lointain puisque, de cailles, les amateurs d'armes à feu n'en n'ont plus
depuis longtemps à se mettre dans la ligne de mire. Leur préparation est trop
évidente pour en parler, au contraire de la purée, qui nécessite une certaine
attention. On prendra des mona-lisa ou des compagnes de même réputation.
Là encore, une question de juste dosage d'eau. Coupées et mises à
couvert, les pommes de terre devront être cuites à affleurement, très
subtilement, très précautionneusement. Moulin à légumes ensuite, grille fine, et
écrasement sur lait chaud à juste niveau. La parole est désormais au
beurre, ramolli, que l'on baratte en toute liberté d'excès, jusqu'à
obtention du lisse, de l'onctueux et du mousseux. Robuchon s'y prend
différemment, mais Robuchon n'a peur de rien.

 

 

Jean-Pierre Quélin, Le Monde


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