Publiée le 01 Août 2010

 

Categories : Tian France, Provence, Lubéron Document
En fait, qu'est-ce qu'un tian ?

C'est une poterie provençale, vernissée ou émaillée à l'intérieur et sur
les bords extérieurs. On en distingue deux formes principales :

- le tian, bassine ou cuvette, où l'on ne fait rien cuire
- le tian, plat à gratin, où l'on verse des préparations culinaires, que
l'on met au four.

Leur forme très distincte décide de leur emploi, et également, ce qui
est amusant, de leur aire géographique.

A Marseille, Aubagne et aux environs, le tian désigne la bassine. Le mot
tian, dans le sens gratin, ne semble pas y être utilisé, sauf peut-être
pour le "tian dou la" (tian de lait). Notre bible à tous, le célèbre
livre de recettes "Le Reboul", ne parle jamais d'un tian pour un gratin.
Ailleurs, à Carpentras, la "Tianapolis" par excellence, c'est le
contraire. Il semble bien que le Comtat-Venaissin et le Pays d'Apt
soient le territoire du tian (plat au four). Nous en avons trouvé
quelques-uns dans le Var et il recommence à être très fréquent à Grasse
et dans le Comté de Nice. A l'ouest, passé le Rhône, ce mot n'existe
plus. Au nord, du côté de Romans, le tian, est définitivement remplacé
par le gratin (dauphinois, par exemple).

Tian-cuvette

Il est intéressant, je crois, de se pencher sur les "tians-cuvettes",
omniprésents sur les piles (éviers) de Marseille et de ses environs.
Cette poterie, plus ou moins haute (35 à 40 cm), plus ou moins large
(idem), est toujours évasée. Sa couleur émaillée jaune, en général,
couvre l'intérieur et les bords extérieurs. Elle possède le plus souvent
un petit bec arrondi et deux petites anses sur le rebord. « On y fait la
vaisselle, on y fait tout le temps tremper quelque chose, des salades
sauvages ou non, des légumes, du linge, la pièce à frotter etc. A mon
époque, on s'y lavait les mains et peut-etre le reste... » me dit une
vieille dame d'un oeil complice

Quelques citations anciennes confirment cet emploi. « Tiano, sorte de
bassin en poterie pour le ménage », ou « tianado, vase de poterie
vernissée dans lequel on lave la salade, les choux et les herbages »
indique le Dictionnaire provençal-francais. Plus récemment, Nicole
Ulisse, dans Salernes, terre de céramique note : « tian, cuvette pour
faire la vaisselle, actuellement en terre cuite, pour cuisine ou salle
de bains » et le nouveau Petit Robert nous explique que « le tian, du
grec teganon, région Provence, est un récipient de terre cuite, écuelle,
plat, etc., exemple Renée entassait sa vaisselle, dans un tian - Cendrars. »

D'autres tians cohabitent avec les précédents :

Le "tian-vin", petit, à engobe blanche, au bec pointu, se prenant bien
en mains, servant à recevoir la mesure du vin, où elle s'égouttait.
Quand le tian-vin était plein, on reversait le vin dans le tonneau.

Le "tian-téton", grand cylindre de 40 cm de haut, pas très large et se
terminant à sa base par un petit robinet en poterie qui servait à
égoutter ce qui n'était pas acide (fruits et autres).

Le "tian-brousson", qui servait à égoutter, lui, les caillés délicats.

Les tians terrines, de formes proches des cuvettes, mais dont l'emploi
était réservé plus particulièrement à la fabrication des fruits confits
d'Apt. et certainement d'ailleurs (Carpentras, Aix-en-Provence,
Saint-Rémy, etc.). Quant aux châtaignes de Collobrières elles se
faisaient dans un tian de terre cuite vernissée et leur confisage durait 15 jours.

Ces objets prouvent bien l'habilité du tourneur qui travaillait en
fonction de chaque cas précis, dans la vie de tous les jours.

Aujourd'hui, nous assistons à la renaissance de ces tians là. De
couleurs variées, plus attrayantes, de dimensions plus petites, ils
arrivent en masse, se bousculent sur les étagères des marchands de
Provence, enjolivent le goudron des marchés, sous les platanes; se
veulent du pays, poussent de leurs petits becs arrondis les natifs et
s'installent enfin, remplis de salades composées sur les tables
conviviales, retrouvant ainsi leurs cousins de la branche "gratin". !

Tian-gratin

Nous assistons, avec ce mot, à un procédé de langage, la métonymie « par
lequel on exprime un concept au moyen d'un terme désignant un autre
concept, qui lui est réuni par une relation nécessaire ». Bien
compliqué, pour dire plus simplement, dans le cas présent, que le
contenant désigne le contenu... ! Prenons un exemple que tout le monde
comprendra, vous êtes au bistrot, vous prenez un verre ou un pot; vous
faites de la métonymie. Le saviez-vous ? Autre exemple, le tian
provençal se rapproche du tajine marocain. Tajine (poterie) devient
tajine de poulet aux citrons confits comme son cousin ou ami, le tian
(poterie) devient le tian d'épinards à la morue, par exemple. La forme
de ce tian est rectangulaire, ronde ou ovale. Sa couleur traditionnelle
était de terre rouge, vernie à l'intérieur et sur les rebords. Avec ou
sans impacts de poignées, ses côtés, peu profonds, étaient légèrement évasés.

Aujourd'hui, ces plats sont entièrement émaillés, sauf le dessous. De
grandes fabriques de "terraille" (vaisselle en terre), existaient et
veulent toujours exister en Provence, comme à Vallauris, Antibes,
Bariols, Salernes etc. Dans la Drôme, le centre de Dieulefit,
ravitaillait tous ses environs et certainement la Haute-Provence. J'en
ai vu de remarquables à Sault. De l'autre côté du Rhône, Uzès et
Saint-Quentin-la-Poterie ont toujours eu des échanges, depuis fort
longtemps, avec le Comtat-Venaissin. Les faïenceries d'Apt et de
Moustiers, peut-être trop précieuses, ne semblent pas avoir fabriqué de
tians, réservés plutôt aux tables rustiques.

Nous avons cherché quelques citations pour étayer notre propos :

Le dictionnaire provençal-français mentionne : « Tian-terrine : sorte de
ragoût au maigre, fort en usage dans les ménages et parmi les gens du
peuple, et que l'on fait cuire au four, dans une terrine ou dans un
poêlon en poterie. »

Dans l'Atlas de la France gourmande, on trouve « La cuisine provençale
excelle tout particulièrement dans les gratins ou tians, tian de lait,
tians de légumes. » il y a des citations multiples pour justifier ce
sens tian-gratin.

D'autres orientations existent. Paul Peyre expliqua un jour à
Crillon-le-Brave que ce mot venu du grec existe déjà en ancien provençal
pour désigner un plat sans oreilles, sorte de poêle à frire et que, sans
étymologie connue, peut-être antérieur à l'indo-européen; il est
intéressant de le rapprocher du mot touareg "taguella" ou de l'arabe
"tajine". En effet, existent aujourd'hui, au Maroc, en plus des tajines,
des plats appelés "tangia", qui, une fois remplis d'un ragoût d'agneau,
sont fermés d'un couvercle attaché par une ficelle et portés au four du boulanger.

Autre citation rencontrée dans le Dictionnaire Honnorat, qui, celle-là,
fait apparaître le sens de tian-mortier : « bol, grosse écuelle sans
oreilles, du grec, mortier dans lequel on pile. »

Sans etre écrasés par le pilon, les lecteurs de l'Opinion Nationale, au
siècle dernier, pouvaient suivre une petite querelle: « N'en déplaise à
M. Jean Aycard, écrivait Albin Valabrègue, nous revendiquons pour le
tian provençal la paternité du mets, qui a fourni au prince des poètes
latins, il s'agit de Virgile tout le monde aura compris, le sujet d'un
délicieux poème. Toutes les étapes de la préparation d'un tian s'y
trouvent : les herbes cueillies, le maître demande d'apporter le
mortier, de joindre la croûte d'un fromage qu'a durci le sel, et
d'entasser les herbes. Ce mélange, d'après l'auteur, peut se rapprocher
du moretum des Romains, "véritable plat d'herbes où l'oeil n'est qu'un
accessoire!" En conclusion, M. Valabrègue soumet sa façon de voir « à
l'appréciation des gastronomes et des cuisinières qui doivent être
reconnaissants à ce bon Virgile d'avoir écrit un si excellent latin… de cuisine. »

Revenons à notre époque et à notre région pour écouter Mistral : « tian,
tiam (d), (rom., b. lat. tihanus, it. tegame, gr. teganon, poêle à
frire), s. m. Terrine, bol, écuelle sans oreilles, v. cassolo; plat que
l'on fait cuire au four... » (Lou Tresor dou Felibrige).

Le sens gratin est bien là, il suffit de le manger. Enfin...

Attesté donc, depuis plusieurs siècles, le tian s'était assoupi.
Réveillé par l'arrivée des gens venus d'ailleurs, il revient en force,
pour bien prouver son existence provençale. Heureux de découvrir les
charmes de la chaleur tournante d'un four électrique ou les picotements
d'un micro-ondes, il rêve néanmoins de la chaleur douillette du four du
boulanger où la cuisinière le portait avec respect. Certains "font leur
chichi". Voulant vivre avec leur temps, se parant de briks tunisiennes,
croustillantes et froncées telles des collerettes d'ancien régime, leur
présence délicieuse enjolive et régale toujours les tables.

résumé par François Leloup

 

 

"Tians et petits farcis", Andrée Moreau, Edisud, ISBN 2-85744-989-5


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